Dans le cadre de l’exposition Opalescents au Centre Albert Marinus à Woluwe-Saint-Lambert à deux pas de Bruxelles, du 3 septembre au 19 octobre 2025, le centre édite un ouvrage qui retrace toutes les particularités du verre opalescent. Anne Pluymaekers, responsable du pôle culture du Cerfav et historienne de l’art spécialisée dans le verre, a contribué à l’écriture de cet ouvrage et partage avec nous l’intérêt de la technique et de ses utilisations diversifiées.
Anne, peux-tu nous en dire plus sur le contexte de l’édition de l’ouvrage Opalescents ?
Il est en lien direct avec l’exposition éponyme, au centre Albert Marinus à Woluwe-Saint-Lambert, et qui met en valeur une collection tout à fait fantastique. Il s’agit de celle de Philippe Decelle, un passionné de ce matériau et du verre Art déco.. Elle comporte plus de 900 pièces et une sélection d’environ 200 pièces est visible au sein de l’exposition.
J’ai été sollicitée par sa directrice, Cécile Arnould, pour participer à l’écriture de l’ouvrage. C’est un type de verre qui me fascine aussi depuis longtemps, et c’était l’occasion de dresser une petite histoire du verre opalescent à travers le temps ; parce que même s’il est surtout connu dans la période de l’entre-deux guerres, il existait déjà bien avant et on peut l’utiliser encore de nos jours.
Qu’est-ce que le verre opalescent ? Comment définir la technique ?
C’est une composition particulière du verre qui lui donne un reflet chatoyant, irisé, proche justement de l’opale. En particulier de l’opale du Mexique. Selon la manière dont la lumière le traverse, il apparaît plutôt blanchâtre, bleuté, parfois même rose. Il a de beaux effets, assez fascinants.
Selon les époques, c’est une composition – comme Mohamed Zahaf, ingénieur R&D au Cerfav, a pu le documenter – qui comporte des substances qu’on ne peut plus utiliser actuellement. Certains ingrédients sont maintenant interdits, pour des raisons sanitaires.
Malgré tout, on en fabrique encore de nos jours mais avec d’autres éléments autorisés qui permettent d’obtenir des effets assez proches.. Les compositions ont évolué avec le temps.
Dans quelles techniques verrières le verre opalescent est-il utilisé ?
Il est mis en œuvre principalement par la technique du soufflage. Durant la période Art Déco, on retrouve une valorisation de cette matière particulière grâce aux techniques de pressé moulé, ou de soufflé fixe au moule. Il est très présent dans les créations de René Lalique, de Marius-Ernest Sabino, et dans des ateliers peut-être moins connus tels que Verlys et Hunebelle, et bien d’autres encore au sein de l’exposition.
Même si René Lalique est très connu pour utiliser ce genre de verre, de nombreux autres verriers l’ont utilisé à bon escient à la même époque.
L’ouvrage fait un tour d’horizon de tous les artistes et manufactures qui s’en sont servi.
Plusieurs auteurs ont participé à l’ouvrage, chacun selon sa spécialité, et notamment Véronique Brumm, la conservatrice du musée Lalique. D’autres auteurs qui ont écrit sur son utilisation dans l’art du vitrail.
L’exposition des Arts Décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925 a marqué les esprits. Le style est présent autant dans les objets que dans l’architecture.
Qu’est-ce que tu apprécies dans cette esthétique Art Déco ?
Je suis plutôt spécialiste de l’Art Nouveau, mais j’apprécie le style Art déco dans sa manière de styliser les fleurs et les animaux de manière plus graphique et structurée que l’Art nouveau. J’apprécie cette esthétique plus épurée, plus sobre.. Il y a toujours une adéquation entre les objets et les intérieurs.
Je trouve intéressant le rapport entre ce changement de paradigme en termes d’architecture et la manière dont on va adapter l’aménagement intérieur, la décoration avec des plafonds plus bas, avec des formes plus angulaires, une simplicité formelle.
Quelle est la présence du verre opalescent dans la création contemporaine, les perspectives qu’il y ouvre ?
Dans le cadre de cette année anniversaire de l’Art déco, de nombreux pays et villes, dont la métropole du Grand Nancy, ont programmé des événements en tous genres.
Certains créateurs, nationaux ou internationaux, et certains des élèves du Cerfav, récupèrent les caractéristiques de cette esthétique, et les renouvellent dans des réalisations originales.
Je cite notamment dans le livre Amber Cowan, qui réemploie des verres américains anciens de l’entre-deux-guerre qu’elle réintroduit dans ses compositions. Elle réalise des tableaux comportant toute une série d’éléments en verre, qu’elle complète avec son travail de soufflage à la canne ou au chalumeau. Le verre opalescent y a une place.
Cette année, Roxane Schnell, élève de la formation « Créateur verrier » du Cerfav, a réalisé un projet en lien avec l’exposition « Coco and Co » sur la place du palmier dans l’Art déco et dans la vie de tous les jours, au jardin botanique Jean-Marie Pelt à Nancy. Ses vitraux, inspirés de l’Art Déco, reproduisent les différentes espèces de palmier – ils ont une visée ludique et didactique. Son projet montre à quel point elle s’est inspirée de l’Art Déco, mais aussi à quel point elle innove en attribuant au vitrail cette fonction de médiation et de pédagogie.
J’évoque aussi le travail de Fabien Cadamuro, diplômé créateur verrier en 2021, qui, déjà en première année au Cerfav, était vraiment très inspiré par ce style tout en proposant des créations de luminaires et de mobilier très originaux. Il récupère lui aussi des techniques qui étaient très utilisées dans l’Art Déco, et qui le sont un peu moins de nos jours, dont le givrage à la colle.
On peut citer également le travail d’Angélique Pascal qui utilise le bouchardage, dans le sillage d’Aristide Colotte, un des grands artistes nancéiens de l’Art Déco, qui n’a pas hésité à sculpter le verre comme s’il sculptait du bois. Le travail d’Angélique Pascal avec les ciseaux de sculpteur, la marteline, se situe dans cet esprit d’un travail brut de la matière tout à fait contemporain.
Le livre explore vraiment le style Art Déco sous toutes ses facettes, c’est très instructif pour toute personne curieuse d’en savoir plus à la fois sur le verre opalescent et sur cette esthétique.
Exposition du 3 septembre au 19 octobre au Centre Albert Marinus à Woluwe, Belgique.
Livre disponible à la vente au centre et par correspondance.
Conférences sur le verre et l’Art Déco :
Science, savoir-faire et art déco : les milles vies du verre par Anne Pluymaekers (Cerfav) et Christophe Rapin (Institut Jean Lamour, CNRS/Université de Lorraine) | le 25 septembre à 18h30 | CME54, Salle Comets, 31 rue Gustave Simon à Nancy
L’Art Déco : Histoire(s) du verre par Anne Pluymaekers | les 9 et 20 octobre de 12h à 12h45 | Jardin éphémère de la place Stanislas, 54000 Nancy – en collaboration avec le CNRS.