
Florian Debu a réalisé une série de films dédiés aux métiers d’art – De la matière à l’œuvre – pour l’Association des Ateliers des Maîtres d’Art et leurs Élèves, et a parcouru des milliers de kilomètres à travers la France pour filmer ces artisans passionnés, tenter de capter leur état d’esprit, être au plus près de leurs gestes. Il nous invite à mettre en lumière auprès du grand public ces femmes et ces hommes encore trop peu visibles, à prendre contact avec la matière à travers leurs pratiques et leur capacité à transmettre ces métiers rares pour lesquels ils sont si engagés. Nous sommes allés à la rencontre de Florian lors de sa venue au festival international de verre au chalumeau – Flame’Off cet été à Nancy. Idverre.info vous invite à une plongée dans cet univers esthétique, sensoriel et technique.
Florian, peux-tu nous présenter ton parcours ? Comment t’es venue l’idée de développer une activité audiovisuelle spécialisée dans les métiers d’art ?
Je suis réalisateur, passionné de métiers d’art, et de verre notamment. J’ai un cursus classique en école d’audiovisuel, j’ai été cadreur sur beaucoup de films très différents. Lorsque j’ai eu un bagage technique suffisant pour commencer à me dire que je pouvais réaliser des films seul, faire mes projets de mon côté, est venu le besoin de capter une trace de la pratique de mon grand-père qui était souffleur de verre au chalumeau. Il a vécu toute la période des trente glorieuses, en travaillant sur un site industriel verrier – dans la ville où je suis né et où ma famille vit depuis très longtemps.
L’idée était de garder une trace de son histoire, parce que j’ai bien senti qu’il y avait quelque chose d’étrange qui se passait : on sentait un malaise global dans la région chez les verriers. Il y avait de grosses frustrations, ils n’étaient plus autant considérés qu’ils avaient pu l’être des années auparavant. J’ai gardé un souvenir d’enfance très fort de mon grand-père – petite tête blonde que j’étais quand je l’observais travailler au chalumeau au ras de sa table d’atelier. Cela m’a profondément marqué, et c’est ressorti d’un coup. J’en ai profité pour le filmer, tout simplement, pour en conserver une trace personnelle.
Ça a été une porte ouverte pour réaliser un film plus large, à visée sociétale, sur la place de l’artisan dans le secteur industriel. Les savoir-faire se sont mis à disparaître parce que l’industrie a périclité en France. J’en ai fait un film, « Le dernier souffle ». [ à voir ici ]
C’était mon premier projet, qui m’a permis de réfléchir au format documentaire. En sortant de ce tournage, je me suis dit « c’est trop bien de filmer la matière en transformation ! », le verre en particulier. Je voulais faire perdurer ce plaisir en filmant d’autres verriers. J’y ai vraiment pris goût mais ça n’a pas été simple au début, parce que je n’avais pas tous les outils en main. J’ai dû apprendre à filmer le verre, c’est très particulier.
Que peut-on en dire, de cette manière si particulière de filmer le verre ?
C’est une très bonne question ! Je n’ai pas encore théorisé cela ! Ce que je peux en dire, c’est qu’il n’y a pas que la flamme qui compte, il y a l’état d’esprit en général, le corps en mouvement, les mains, le regard. Il faut réussir à capter tout ça à 360°. Il faut pouvoir combiner le tout, et gérer la flamme, ce qui est très complexe parce qu’il y a des paramètres de contraste très forts, des variations de luminosités très importantes. Il faut avoir des caméras performantes, bien préparer ses plans … il y a un savoir-faire qui se met en place, et c’est en faisant qu’on apprend.
Au-delà de la technique, il y a également une appréhension du geste à avoir. Une anticipation, un détail. J’ai vite compris qu’il fallait que je passe beaucoup de temps avec les artisans en amont, pour les regarder travailler.
Je passe donc beaucoup de temps avec eux sans la caméra. Je peux ainsi assimiler leur mode de déplacement, c’est une préparation et une phase de repérage importante. J’adopte une posture dès le départ : quand je m’engage sur un film avec un artisan verrier, je sais que c’est sur du long terme. C’est une exigence à avoir pour faire un bon film. C’est un engagement total.
Est ce que la démarche se calque sur celle de l’artisan que tu filmes ?
Complètement. Par exemple, j’ai filmé Frédéric Alary, je l’observais suer sang et eau pour travailler ses pièces, et à la fin de la journée, j’étais au même niveau de fatigue que lui. Je me tournais dans tous les sens pour trouver le bon plan à côté du four. J’ai compris que je devais m’engager à 100 % et ne pas avoir peur. Que je devais aller au plus proche des mains, de la matière, de leur regard. Cela permet de capter ne serait-ce qu’un dixième de la sensation qu’il peut vivre en tant que verrier.
Tu as diversifié tes projets à tous les métiers d’art, notamment avec la série « De la matière l’œuvre ».
Je travaillais toujours en tant que chef opérateur pour diverses entreprises de production. Un jour, en travaillant sur un film promotionnel pour une restauration d’église en Île-de-France, à Sceaux, un artisan campanaire, Stéphane Mouton, installait une cloche et je me suis retrouvé avec lui, à 25 mètres de haut. Je l’ai filmé en train de monter sa cloche, un délire total ! C’était un risque insensé, j’étais complètement pris par la folie, la passion de l’artisan. Il a adoré mon état d’esprit, d’aller au plus près de l’action.
Il m’a parlé de son association, les Maîtres d’Art et leur élèves, et de son projet de films. Il m’a proposé de postuler à l’appel d’offre – au départ pour 6 films sur différents ateliers d’art, et j’ai été sélectionné.
De là, une collaboration intense avec l’association s’est enclenchée et notamment Stéphane, qui est ancien élève de maître d’art campanaire, fondeur de cloches. On s’est rapidement très bien entendus, et c’est devenu mon référent pour l’association, et pour produire la suite des films.
J’ai donc entamé une collaboration avec eux pour réaliser des films courts de moins de 10 minutes. Le principe c’était : vouloir faire connaître les ateliers au grand public, partager l’état d’esprit dans l’exigence d’un artisanat qui fait évoluer son art ancestral, l’inscrire dans une contemporanéité. Essayer d’apporter une meilleure compréhension à la fois des parcours – comment peut-on tracer sa route dans ces métiers – de l’évolution de leur travail, et puis de la transmission de leur savoir, un enjeu crucial pour la pérennité de ces métiers si fragiles.
Le processus était long à démarrer. Une fois qu’on a pris notre rythme, j’en suis arrivé à parcourir 15000 Km pour aller dans les ateliers et passer beaucoup de temps avec les artisans pour échanger en amont. Il a fallu leur donner confiance et faire oublier la caméra.
Est-ce qu’il y a eu une facilité à être filmé pour eux ?
Ce sont les membres de l’association qui sont filmés, donc ils étaient préparés, mais aller au bout du projet c’est autre chose ! La mise en place a demandé à ce que je m’engage sur le très long terme avec eux, par exemple pour identifier les réalisations qu’ils estimaient les plus intéressantes à filmer – ou par rapport à leur état d’esprit sur un projet particulier.
On est sur des temps très longs de production. Ils ont duré 2 ans pour certains films. Au minimum, entre 6 mois et 1 an.
On remarque le niveau de détails dans les prises de vue des gestes, et la capacité à pouvoir gérer plein de métiers d’art différents. Il y a une technicité à savoir appréhender chaque discipline, et avoir la capacité à être présent au bon moment.
Effectivement, c’est très détaillé, il y a une complexité. Je pars pour plusieurs jours de tournage pour un film de 7, 8 minutes, ce qui est énorme. Il fallait attendre ce bon moment. Attendre qu’il préparent la pièce qu’ils vont façonner, essayer de créer de la spontanéité malgré toute cette préparation.
Sur les différents gestes, pour comprendre l’état d’esprit d’un artisan d’art, il y a quand même des fonctionnements en commun et on s’en rend compte assez vite.
Mais à chaque fois, sur chaque film, je repartais à zéro. Il n’y a pas de manière de filmer qu’on pourrait reproduire. On doit s’adapter à chaque fois. Chaque atelier est différent, chaque lumière est différente, même le son. Parce que la matière s’impose. J’essaie d’avoir un petit son caractéristique sur chaque film. Une plume qu’on casse par exemple, … Même s’il y a une homogénéité sur la série, il y avait un challenge à chaque fois.
Te reste-t-il encore des épisodes de la série à tourner ?
Je suis encore en train de réaliser quelques tournages. Pour le moment il y a 23 épisodes diffusés. C’est toujours dans le même cadre, avec l’association. En parallèle, je fais d’autres films mais cette série est vraiment mon fil rouge depuis 4 ans. Il est possible que je réalise encore d’autres épisodes.
La diffusion de ces films est une question intéressante car on essaie de décloisonner les publics, et d’élargir à des personnes qui ne sont pas sensibilisées aux métiers d’art. On veut amener les films vers des publics jeunes et notamment les diffuser au sein des collèges, mais aussi prévoir des diffusions en salle accessibles au plus grand nombre.
Regarder tous les films réalisés pour les Ateliers des Maîtres d’Art et leurs Élèves par Florian Debu
Florian Debu et l’association des Ateliers des Maîtres d’Art et leurs Élèves seront présents au salon Résonances pour une conférence en cours de programmation.
Résonances, du 7 au 11 novembre 2025 au Parc des Expos de Strasbourg.