Mathieu Grodet, artiste verrier international, revient au Cerfav après y être passé en tant qu’élève puis intervenant pour des workshops et conférences. Cette fois, c’est dans le cadre de la résidence d’artiste, réalisée avec le soutien de la DRAC et de la Région Grand Est, qu’il pose ses valises à Vannes-le-Châtel. Nous revenons avec lui sur son parcours, son univers et les futurs projets qu’il va développer jusqu’en décembre 2024.
Mathieu, peux-tu nous rappeler ton parcours ?
Je viens d’Orléans et j’habite au Canada depuis 17 ans, je fais du verre soufflé à la canne, du chalumeau et de l’illustration. Je suis déjà passé par le Cerfav en tant qu’apprenti en 2001, en soufflage à la canne. J’ai également bénéficié d’une formation au chalumeau au Cerfav où j’ai survolé plusieurs techniques comme la sculpture, le soufflage, le néon et la perle.
Tu maîtrises un bon nombre de techniques, qu’est-ce que ça apporte à ton travail ?
Je m’ennuie vite et j’ai besoin de nouveautés, et dans le travail du verre, au début ça m’a un peu handicapé. Mais avec le temps, ça commence à faire sens. Chaque technique renforce l’autre, sert l’autre. Sur mes pièces, elles sont bien utilisées de façon séparée, mais je pense qu’une technique va aussi avec une intention. Et les croisements de techniques sur une même pièce, ça peut rapidement devenir contre-productif – si on en maîtrise une mieux que l’autre par exemple.
J’estime que je suis encore en apprentissage sur de nombreux aspects. Je m’investis dans des créations que j’entreprends sur le long terme. Je prends vraiment le temps de toujours apprendre.
Les thématiques de tes pièces portent sur le lien entre le passé du verre, les techniques traditionnelles ou anciennes, et le présent, avec des sujets politiques, culturels ou sociétaux. Peux-tu nous en dire plus ?
J’ai fait les Beaux-Arts en France. Étant maintenant nord-américain, je me rends compte qu’en Europe on vit dans un musée et qu’on ne s’en rend pas compte. On y a l’avantage d’avoir une pratique traditionnelle, mais la tradition peut être lourde et nous empêcher d’agir. Si on veut être écrivain et qu’il faut se confronter directement à Châteaubriand ou à Céline, c’est un peu difficile ! En Amérique du Nord, c’est un peu plus libre.
En tant qu’Européen, j’emmène un peu de tradition en Amérique. J’ai appris à faire de vieilles choses et j’essaie de les revisiter en habitant le nouveau monde. Je ne veux pas oublier d’où je viens.
Parler de politique est pour moi une évidence. Un artiste est un filtre pour le monde, il donne une interprétation du présent. C’est aussi le sujet de l’Éternel retour : les mêmes choses se passent et on peut en avoir un point de vue critique ; avec humilité, dans le sens où je ne changerai pas les choses – mais je peux au moins dire que je ne suis pas d’accord.
Quand on va au musée, on observe des traditions, des pratiques anciennes, et je me demande toujours : aujourd’hui, que fait-on ? Comment les gens nous regarderont plus tard ?
J’essaye d’avancer dans nos sociétés actuelles qui sont dysfonctionnelles.
Il y a un point de vue critique dans ton travail. Y a-t-il aussi une dimension sensible et un engagement ?
Il y a beaucoup de subjectivité. Pour moi, le journaliste doit rester objectif, et l’artiste, c’est le contraire. Il doit aller dans la subjectivité, faire des choix : de textures, de paroles, de couleurs, de formes …
Tu reviens régulièrement au Cerfav mais cette fois c’est pour une résidence d’artiste, que va t’apporter ce contexte ?
C’est gratifiant et honorant de pouvoir revenir dans les institutions, avec du temps pour voir aboutir des projets. C’est grisant, parce que ce sont des projets que je ne pourrais pas réaliser chez moi, on est facilement pris par le quotidien et la vie de famille. C’est un beau tremplin pour pousser plus loin mon travail. C’est un moment de liberté créative.
Puisqu’on parle de liberté, quelles sont les premières pistes pour l’instant à la fois formelles et sur les thèmes des pièces que tu vas créer durant ta résidence ?
Dans mes créations, je pense que je suis très didactique : j’ai utilisé beaucoup de citations, pour être clair. Dire les choses avec du verre, c’est assez difficile, c’est froid, c’est empreint de tradition … en général ce n’est pas le matériau privilégié pour cela. J’ai donc utilisé beaucoup de mots, de lettres, pour vraiment être concret et ne pas passer par la métaphore.
Au cours de cette résidence, je me base sur un travail plus émotionnel, sur les formes. Je recherche de la simplicité dans le narratif. Comme Rothko qui dans ses peintures sépare un espace en deux avec des couleurs différentes qui dialoguent. J’ai un rapport très émotionnel aux couleurs, pas du tout intellectualisé. J’utilise toujours les mêmes : le bleu pétrole ou le jaune.
Pour le thème précis de la pièce réalisée en résidence, je voulais un peu désacraliser la matière verre, en emmenant des objets fonctionnels sur un terrain esthétique. Utiliser des verres à boire pour les rendre conducteurs d’une narration. J’ai beaucoup de pistes : le verre protecteur, le rapport entre opacité et transparence …
Je n’ai pas l’impression qu’on vit dans un monde très transparent, donc venir mettre de l’opacité sur un verre transparent peut être une manière de se poser des questions.
Le thème principal derrière mon travail, c’est de parler de liberté. Je suis petit-fils de déporté, et je pense qu’il est important de rappeler l’histoire, nous la façonnons autant qu’elle nous façonne. Pou ressayer que certaines choses ne se reproduisent pas. C’est aussi pour cela que j’ai réalisé la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en murrines. Ça m’a pris trois mois. Je pensais qu’il fallait rappeler aux élites qu’on avait un contrat social qui doit être respecté.
Vous aurez l’occasion de suivre les différentes étapes de la résidence d’artiste de Mathieu Grodet sur idverre.info et sur cerfav.fr